Dans quelque temps un
livre vous dira où sont mes racines, Tarbes en fait partie pour toute ma vie.
J’écris ces quelques mots après bien des hésitations ma dernière visite à la
ville qui m’a accueilli tout petit, m’a laissé malheureux. Un brin de nostalgie
mais surtout de tristesse, je crois qu’il y a de quoi, Je vous l’écris tel
quel, c’est ainsi pour moi.
J’ai quitté Tarbes un
jour des années 90, emmenant ma petite famille pour mordre dans la vie. Chacun
sur ce voyage avait donné son avis, certes un déchirement mais plein d’espoir
aussi. Le Pic du Midi de Bigorre ne serait plus notre bougie pour fixer la
lumière du jour et de la nuit. J’avais à faire ailleurs, j’y sentais un
attrait. Une ambition sans doute, mais pas comme certains l’ont cru une fuite
en avant. Alors je sentais la ville entrant dans un tournant, j’en avais fait
le tour.
En 87, un jour du mois de
juin, j’avais lancé des dés et quitté les murs de l’Arsenal qui faisait les
hommes et entretenait la vie de mon petit pays. J’étais souvent meurtri
d’entendre ceux qui le dénigrait alors qu’ils en vivaient. Dans son sein,
j’avais confusément compris qu’il était en danger et très peu défendu. Depuis
trois ans déjà, j’avais couru la France et compris quels trésors au fond il
contenait. Depuis sa création, il formait des générations d’ouvriers compétents
et de techniciens chevronnés. Sur toute la ville son aura rayonnait, il ne
laissait personne indifférent. J’avais eu l’impression vingt ans auparavant que
ceux qui pouvaient passer les tests de sélection entraient chez lui un peu en
religion. En vérité personne ne savait ce qui vraiment s’y tramait. Je peux
aujourd’hui témoigner qu’on y savait tout faire mais ça n’a pas duré, il a
périclité.
La machine était lourde
et pour pouvoir la changer, il fallait la bouger, surtout bien s’accrocher. En
son sein, de l’industrie et ses techniques, j’y ai tout appris. Du bruit de la
forge à l’infiniment petit. Je crois que la première fois que j’y suis entré,
je devais avoir huit ans, comme un taureau j’étais marqué au fer rouge, pas
encore initié. Mon père y travaillait, au cœur de sa famille faisant quelques
jaloux. Le pas de l’Arsenal était vilipendé, personne ne savait vraiment ce
qu’il fabriquait. Un jour, à toute la région on a ouvert ses portes pour le
montrer, juste avant de changer. Les projets s’enchaînaient, les robots
arrivaient. J’y ai participé et j’ai beaucoup donné. Surtout, j’y ai beaucoup
appris et encore aujourd’hui, cela me poursuit.
Mais dans l’euphorie du
moment, comme sur toute l’industrie du pays, les nuages s’amoncelaient. Devenu
consultant, je savais les difficultés du marché des petites sociétés de toute
la région. La mondialisation gagnait, les commandes s’éloignaient. Il fallait
réfléchir autant que travailler pour faire les bons choix. L’Arsenal serait
démantelé, c’était la vérité.
J’ai vécu sa chute de
loin, trop occupé pour avoir du chagrin. Mais c’est une pitié de voir ainsi
partir un si bel outil. L’histoire ne dira pas tout ce qui s’y est passé. De
grands hommes y sont nés pour le faire marcher et ont servi d’exemple pour le
perpétuer. J’en ai vu une part et je suis son enfant, aussi le voir à terre est
un déchirement.
J’ai laissé la voiture devant
chez Michel Valantin, qui savait l’importance des croissants du matin. De lui,
je garde une belle pensée : « si un jour tu penses à une recette qui
te fait saliver, il faut la cuisiner ! ». C’était sans doute un grand
secret, son laboratoire est toujours animé et ses « Bigourdettes »
toujours aussi prisées. J’ai fait les rues à pied pour mieux regarder ces
grands murs abriter d’autres activités. Restaurants, cinéma, presque plus d’industrie
quel étrange destin. Un boulet c’est presque certain. Le coin est aéré, les
arbres des allées ont beaucoup disparu. Chaque pas ramène à ma mémoire une
tranche de vie. Vingt-cinq ans que je suis parti et tout est resté présent, les
machines, les hommes, les femmes et même les enfants dans leur amusement.
Bien sûr on travaillait,
plus dur qu’il n’y paraît mais en plus on vivait. L’usine à la campagne n’est
pas embouteillée. Pour entrer et sortir, le temps n’est pas compté. Chacun sait
pourquoi il vient ici et quand il est sorti, vite reprend sa vie. Un tel groupe
au travail crée d’autres activités pour jouer et faire société.
Les matches
inter-ateliers pimentaient la saison avant que le Stado ne reprenne la sienne
et anime les conversations. On débattait de tout, même si encore je le dis, on
travaillait beaucoup.
La forge existe encore, Vallourec l’a sauvée, une pierre
le dit. Pour elle, certains avaient imaginé un autre destin, mais personne n’a
suivi, pour cette raison, je suis parti.
L’école aussi conserve sa mission,
toujours en face le collège Sixte-Vignon.
L’Adour passe bien au milieu mais ne
craint plus tous les rejets huileux de mes jeunes années.
Les truites sont
dérangées par d’énormes orages depuis quelques années, mais l’usine ne rejette
plus ses énormes déchets.
Je ne pouvais pas ne pas
aller marcher jusque vers le fronton qui entre deux parties, fit naître
quelques décisions.
C’est sur son macadam, qu’un jour j’ai changé de direction.
Je ne savais pas encore ce qu’était alors un système d’information.
Encore une
fois, Toulouse revenait dans ma vie pour changer mon destin. ENSICA
m’attendait, une nouvelle vie aussi. En passant au tennis où j’avais bataillé
contre le grand Alain, au milieu du terrain le filet traînait, le court
abandonné.
Pour remplacer le bruit
de leurs activités les murs sont animés de dessins colorés, sans doute pour faire
croire qu’il existe quelque part que cette ville retrouve un peu d’espoir. J’ai
de tristes pensées en cette matinée, il est tant que je parte sinon je vais
pleurer.
Je suis parti doucement,
voir mon frère, rue Petite Vitesse. Une fois de plus, moments à évoquer le père
et nos belles randonnées. C’est avec lui que j’ai compris au cœur des Pyrénées
lors d’une course en hiver, qu’un moment de sa vie on peut toucher une limite.
Un sommet peut être à quelques pas et on n’y arrive pas…
Le repas avalé, je
suis parti flâner sur les rives de l’Adour où j’aimais tant pêcher. Le torrent
lui aussi a beaucoup changé, ses courbes sous les arbres sont moins bien
dessinées. Les crues de l’hiver ont dérangé son lit mais il n’a pas grandi.
Un tour au Courcaillet,
pour voir notre quartier. Les maisons ont vieilli tout comme nous aussi. Les
couleurs sont passées comme un peu oubliées. Signe des temps, les murs ont
remplacé les clôtures arborées. De Soues à Séméac et jusqu’à Sarrouilles, les
prés ont disparu, laissant place aux maisons. Mais elles paraissent moins
belles comme un peu voilées pour ne pas dire fanées. Avec le temps qui passe le
village où j’ai grandi est beaucoup moins joli. La peinture des murs est
parfois bien ternie et les jardins restent sans vie parmi les herbes hautes et
quelques pissenlits. Tout d’un coup je suis triste, tout ça sans nostalgie,
voyons voir les amis, s’ils ont mieux vieilli.
Avec chacun j’ai fait un
tour de toute notre vie, beaucoup sont bien malades et j’en suis très surpris.
Ils racontent des histoires sur leurs maux et autres maladies qu’ils ont bien
du mal à se faire soigner. La grande ville est loin, entre Toulouse et
Bordeaux, trouver un rendez-vous chez un bon médecin n’est pas du tout certain.
Les journées passent et ils semblent marqués par la fatalité. J’ai le cœur déchiré
à écouter ces gens autrefois si vaillants, se replier sur eux sans joie et peu
d’espoir. Ils sont sur la réserve et font bien peine à voir. Autrefois plein
d’entrain, ils ne cherchent même plus à rester en contact. Si je veux leur
parler, reste à téléphoner. Ils paraissent engoncés par notre société et
passent à côté de la modernité.
Le long des Pyrénées,
j’ai pris la route de Toulouse, plein soleil sur les cimes. De là un jour je
suis parti pour rejoindre Paris, nouvelle tranche de vie. Elle m’a réussi comme
si j’étais béni. De Toulouse reste le souvenir de mes jeunes années, entre
école et rugby pour toute compagnie.
J’ai retrouvé la ville
avec une vraie gaité, depuis bien longtemps je n’y étais pas passé. Rapide
passage devant l’école, rue de Grande Bretagne avant que de couper par
Casselardit qui s’est bien embelli. Un grand détour par les Allées Jules Guesde
et l’Université. A y repenser, on s’y est bien trouvé mais qu’est-ce qu’on a
bossé !
Toulouse pour moi a été
comme une fée. Elle m’a transformé en plusieurs épisodes, comme une
destinée.
D'abord comme apprenti, elle m'a vu grandir auprès de mes amis. Comme un signe déjà ils venaient de partout. Des ressources de France, j'avais tous les contours. Comment ne pas l'aimer quand à chaque détour, l'image d'un ami se profile au grand jour?
Après l'avoir quittée, à fond dans mon projet, j'y suis revenu pour enfin travailler. A vingt trois ans passé, ma vie était tracée. Et puis dans cette époque bénie de grand progrès, dans l'infiniment petit la tête j'ai plongé.
Des idées plein la tête alors sont arrivées et sans y prendre garde ma vie s'est emballée. Toulouse m' a fait muter, comme je le souhaitais. Je lui garde en secret plus que de l'amitié.
Du Pont Neuf à Rue Saint Rome
jusqu’à Saint Sernin l’hymne de Nougaro à sa ville natale fait écho à mes pas,
je ne m’en lasse pas. Encore un peu plus loin vers Wilson et Matabiau ma gare
du destin, pour trouver un ami qui ici a retrouvé l’amour de sa vie.
La soirée
avec eux nous a bien rajeuni toujours sans nostalgie, c’est vrai, on a
certainement vieilli mais je garde l’espoir de continuer ainsi.
Michel Prieu
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