Etre à un bout du monde et
trouver, bien placé, une trace de France me rend gai pour le reste de la
journée. A deux pas de la maison, au retour de la plage, j’étais parti chercher
une goutte de vin. Karolyn avait avoué aimer le vin français et je voulais lui
faire plaisir. Native de la région d’Adelaïde, je cherchais le parfum qu’elle
pourrait aimer.
Je vous le dis franchement,
lorsque vous entrez dans un « liquor » Australien, seule boutique
autorisée à vendre du vin et des spiritueux (cela me rappelle les
« wines » londoniens de mes jeunes années), le choix est compliqué.
Le classement se fait souvent par
cépage, Chardonnay, Pinot, Syrah, … puis par prix, les moins chers en bas et
les meilleurs à hauteur de vue. Sacré marketing… Le fin du fin, c’est dans les
« blend », les assemblages. En plus du terroir, vous avez la propre
recherche des œnologues. En Australie, c’est comme en Californie, vous pouvez
avoir des vignes et ne pas vous occuper du vin. Vous confiez votre récolte à un
« cellar » qui préparera le vin que souhaite les services commerciaux,
et vous le dégusterez dans une « winery », soit localement, soit dans
un centre touristique ou à grand passage…
Heureusement, comme les vignerons
champenois qui l’affichent sur leurs bouteilles, il y des vignerons qui font
tout eux-mêmes et cela donne des milliers de nuances. Comme je l’ai précisé par
ailleurs, la superficie des vignes australiennes est en baisse. Il y a
surproduction. D’où des arrachages et des réaménagements drastiques. Il y a un
dynamisme et un pragmatisme mené sous le contrôle du ministère de
l’Agriculture. Il y a aussi un intense travail de recherche, à la fois pour la
culture des vignes et pour les débouchés du vin. Les chercheurs sont dans les
fermes et à l’université.
Le soleil d’Australie est très
dur, Adélaïde est la ville où il y a le plus de traitement pour les cancers de
la peau…Il faut protéger les raisins, les vignes sont un peu hautes comme dans
les Charentes ou en Alsace. Toutes sont équipées du micro-arrosage par pulvérisation,
il faut aussi économiser l’eau tout en ajustant les quantités. Dans le vin
d’aujourd’hui tout est calculé. Enorme travail de protection contre les maladies,
avec une recherche affirmée et écologique, mais aussi contre les prédateurs
omniprésents : les oiseaux. Il faut dire qu’il y en a beaucoup, c’est
magnifique d’en voir autant, mais je comprends que cela puisse faire des dégâts
dans les vignes. La petite amie grive de Karolyn vient tous les matins chercher
son raisin, maintenant que la récolte est terminée.
Du coup, faire le tour d’un étal
de vin est une promenade parmi mille nuances de couleurs. Une fois la surprise
du bouchon à vis passée, les vins blancs se déclinent du vert pâle au jaune
d’or, très prononcé. Pour les vins rouges c’est un peu moins vrai, mais les
rosés commencent à faire leur apparition et offrent une palette du rose très
clair au presque fuchsia de la syrah.
Depuis le temps que je cherche des
bons crus en France comme partout où je passe, je me laisse guider par les
médaillés des concours…le prix n’est pas mon moteur, même si je suis très
heureux de trouver un bon vin à petit prix, pour le partager et le faire
connaître. Cela m’a joué des tours parfois, mais tout reste amusant.
Je ne connais pas bien la
structure de coût d’un vin australien mais compte tenu de tout ce que je vous
ai dit vous savez déjà qu’ils sont très chers. Si la winery à bonne réputation,
cela augmente encore un peu.
Ce que j’ai aimé découvrir en
Australie, c’est qu’il y a une volonté politique de développer ce marché, une
ressource nationale et internationale à maîtriser. Le Musée du vin d’Adelaïde
est une cheville ouvrière qui pourrait donner des exemples et faire des émules.
J’ai l’air une fois de plus de
dénigrer la France, mais ce n’est pas le cas ; je dis simplement que les
vins étrangers s’organisent avec notre savoir et profitent des opportunités
autant qu’ils les provoquent. J’ai aimé découvrir toutes les finesses du
Champagne et la force du CIVC qui promeut et défend la marque bec et ongles.
J’ai grandi dans les Pyrénées et très tôt je suis parti sur les rives du
Languedoc. Mon grand-père maternel était de Saint Sulpice de Cognac, et chez
Tonton Vendôme à Maubourguet, j’ai découvert l’Armagnac des meilleures cuvées.
Sur les Quais de Bordeaux et la Place des Quinconces j’ai dégusté des vins avant
de prendre le train pour aller un peu plus loin sur les bords de la Charente.
Le service militaire m’a conduit en Champagne pour apprendre à le boire, à
l’apéritif et non pas au dessert. Je suis loin d’être expert, mais trier le bon
grain de l’ivraie, ne m’est plus un secret.
Ce n’est que déjà vieux que j’ai
étudié la magie du pressoir et des tonneaux de bois, les neufs et les plus âgés.
Que j’ai admiré et goûté la précision d’un rosé de saignée à Château Thierry
comme à Vertu. Oui, notre vignoble a fait de grands progrès mais c’est dans les
règlements et le commerce qu’il a un peu pêché. Partout où nous allons, il est
réputé et c’est chez nous dans les terroirs de France que l’on vient
étudier…pour mieux les copier et en faire un marché. Innover fait toujours
progresser.
Je voulais faire plaisir à de
charmantes dames et j’allais réussir, grâce à un franc-tireur : Arrogant Frog et sa belle étiquette trônait
dans un étal tenu par un indien, le point rouge au front. La silhouette
élégante, de bleu, blanc, rouge vêtue, me regardait avec intensité. Quel beau
trait d’humour que de trouver en terre britannique une grenouille ainsi
attifée ! Je n’ai pas hésité, mon sang n’a fait qu’un tour, il fallait le
goûter…
Karolyn a aimé et toute la
maisonnée s’est régalée. Après un verre de cet élégant de Pézenas, on pouvait
parler comme des anglais. Nous ne sommes plus froissés de les sentir
embarrassés dès qu’il faut parler Français. Arrogant nous est souvent attaché
quand ils veulent juger et nous traitent de grenouille, quand ils sont très
fâchés.
« Arrogant Frog » est
un mot composé, mais ceux qui l’ont créé ne se sont pas trompé. Ce sont des
passionnés qui ont enfin osé montrer tout leur métier et affronter les autres
en plus à l’étranger. Ce fut un coup de cœur et je ne manquerai pas de faire un
tour au mas dès que je rentrerai… Monsieur Mas, j’espère que mes amis du coin
seront déjà passés pour goûter ce vin si bien équilibré.
Comptez sur moi pour dans mon
entourage, présenter votre ouvrage. J’aime les pionniers et regrette que trop
souvent que dans le vin, ils soient aussi anglais.
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