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B17 - Grenoble où va ton rugby ? (26-01-17)


Bonjour,

Dans son excellent blog « coteouvert.blogspot.com », Richard Escot s’inquiète de voir comment le club de rugby de Grenoble se délite. Les joueurs annoncés sur le départ en milieu de saison condamnent de fait le club à la descente…Cela paraît inéluctable.

C’est devenu compliqué le rugby professionnel. Parfois les objectifs du projet n’ont pas un bon équilibre entre le projet de jeu et le projet financier. Les équipes qui semblent avoir un projet viable, de niveau philosophique supérieur créent une dynamique gagnante. Elles représentent souvent un esprit régional, une différence. Je ne crois pas que ce soit différent avec l’arrivée du professionnalisme. A condition de ne pas se perdre dans les méandres du marketing stérile. D’hier à aujourd’hui, nous avons vu Lourdes, Béziers, Stade Toulousain, Stade Français, Toulon…Ces projets et leur philosophie sont incarnées par des hommes. Jadis des bénévoles éclairés, aujourd’hui des chefs d’entreprises. Nous n’aimons pas toujours, car on a l’impression que le rugby y perd son âme…

L’entreprise qui joue en Top 14, mais c’est aussi vrai pour la Pro D2, doit gagner de l’argent, comme toutes les entreprises. Nous l’oublions trop souvent. La DNCG est partout. Le Club (je préfère ce concept à celui de l’entreprise) doit donc faire envie à des partenaires et mécènes et…aux spectateurs. Chaque club a besoin d’organisation efficace et plaire à son public, compromis pas simple mais évident à mener, le public pour venir doit s’identifier à son équipe représentative. Des hommes arrivent à conduire cette politique en ce moment, Clermont en premier qui a fait évoluer son jeu depuis quelques années après avoir perdu bien des finales. Quand c’est arrivé, ils n’avaient pas les clés pour les gagner ; pas le mental à l’unisson, la peur et l’anxiété, la projection à demain…, avaient détruit la maîtrise. Ils n’avaient pas encore appris à être dans le « temps présent ». Je crois que Vern Cotter, même s’il est vénal, a apporté quelque chose de neuf à Michelin : le pragmatisme et une autre idée du jeu, du volume de jeu. Coach pas facile le Néo-Zélandais, mais jouer et apprendre au pays des All Blacks en impose. Il a martyrisé quelques joueurs, Para en sait quelque chose. Les dirigeants de Clermont ont compris et Azéma, (certainement un chercheur passionné) a composé sa maîtrise des hommes à son contact et avec ce qu’il avait appris de Jacques Brunel. Souhaitons-lui de continuer et de donner exemple à tout le « Flop 14 ». Ses dirigeants lui font confiance et veillent au bon équilibre jeu-efficacité-organisation de l’entreprise sportive.

Nous voyons des changements aussi comme ceux portés par La Rochelle ou Bègles-Bordeaux. Là, il semble que ce sont des hommes de terrain, des techniciens qui font évoluer, Ibanez, Collazo… qui ont tous les deux goûté au rugby anglais. Ce n’est pas neutre à mon sens : ils ont vu autre chose et comment se déroule le jeu britannique. Je suis toujours surpris de voir des matches entre les « nations » du Royaume-Uni. On voit du jeu, dans chaque équipe, il y a une ligne directrice, une intensité, plus de temps de jeu. Les provinces irlandaises sont des exemples flagrants en Coupe d’Europe. Dans le Tournoi des VI Nations c’est un peu différent. Je ne retrouve pas cette dynamique en France. Toulouse, Paris l’avaient et l’on perdu. Toulon est en train de le perdre, Grenoble est en perdition. Des hommes clés en sont partis et ont créé un déséquilibre…Pour que les joueurs aient confiance et puissent développer leurs moyens ils doivent être pris dans un projet et le partager avec leur entourage.

On découvre ainsi que l’argent n’est pas tout. Mais d’un autre côté la vérité d’un projet change rapidement. L’exemple de Altrad-Galtié à Montpellier le rappelle ouvertement en ce moment. Que s’est -il passé réellement ? Comment un patron peut-il oublier l’influence d’un cadre qu’il a choisi et qui a transformé le club en profondeur ? Comment, par quelles nuances de management un entraîneur peut-il perdre la main mise sur son effectif ? Pourquoi le message d’hier ne passe plus aujourd’hui ? Toute l’alchimie du changement est là. Les egos et les intérêts individuels viennent sans arrêt perturber un groupe.

Je crois malgré tout que même professionnels, les joueurs aiment jouer. Vous savez bien combien cela vous faisait mal de ne pas être pris dans l’équipe du dimanche quand vous jouiez ! Même à 23 sur la feuille de match, certains joueurs doivent se raisonner chaque matin et ravaler leur frustration. Les journalistes ont inventé « l’impact-player », pas sûr que les joueurs comprennent, ils préfèrent être titulaires… Alors le vestiaire doit bruisser de mille chuchotements. Nous on travaillait à l’usine, ou au bureau (l’occasion de refaire le match), dans leur « métier » d’aujourd’hui, ils ont le temps de ruminer seuls et même accompagnés dans leur cocon familial. Je ne crois pas que cette partie affective ait disparue. Je crois qu’elle existe dans le milieu professionnel de toutes les entreprises de la terre.

Cela me ramène à Grenoble, car ce qui arrive était prévisible depuis quelques mois. La cuvette de Grenoble n’est pas neuve dans le rugby, elle a une histoire qui avait sombré dans l’anonymat. Les De Gregorio n’avaient pas eu d’héritiers. Grenoble s’est relancée il y a quelques années sous l’impulsion d’une équipe soudée de dirigeants dont Fabrice Landreau.  La nouvelle startup s’est lancée avec enthousiasme et cela a fonctionné. Mais dans le rugby professionnel les forces en jeu sont considérables. C'était moins lourd quoique chacun dise avec l'amateurisme marron. Cela se passait sous le manteau. Je suis Tarbais de naissance et de vie, puis Toulousain par mes études et mon job. Des dimensions et des philosophies bien différentes, des moyens aussi pour chaque ville dans sa région. Je suis heureux de voir que Brive est un rassembleur régional, ce que n'a pas su faire la Bigorre qui a disparu des radars. J'enrage de cela.

La Rochelle, Clermont ont des idées directrices, presque une méthode, d’autres par exemple le Stade Français en avait et semble les perdre... Le Stade toulousain cherche de nouvelles marques pour redevenir ce qu’il était… Compliqué de faire un esprit d'entreprise, car tout dépend de l'esprit du patron et des choix qu'il fait de ses collaborateurs, de la puissance de son message. La startup a succès pour grandir doit s'organiser et c'est là que commencent les difficultés. Entrer du personnel demande plusieurs réflexions dont former ou acheter. Du court-court terme et du long terme, la vision du projet est nécessaire.

Pas facile à mener un projet. Voyez nos entreprises les plus performantes pour changer de cap aujourd'hui elles ont rouvert les centres de formation fermés il y 30 ans à cause de l'incurie des autres parties chargées de l'enseignement général et technologique. Les meilleurs potentiels jeunes partent parce que l'on ne leur fait pas confiance… En rugby le recrutement est primordial et traditionnel pour constituer les équipes. Les centres de formation sortent toujours des jeunes mais il ne leur est pas fait confiance (cela concerne l’esprit français en général).

Notre Histoire nous dit que l’esprit du rugby des grandes équipes venaient de leur région. En son temps, Raoul Barrière allait vers Sète et plus loin vers Alès, si le turbulent Lubrano faisait le con, Raoul le savait. Lourdes savait aller chercher Crauste …Il y avait un liant donné par la formation régionale et le moule fonctionnait. Tout doit aller plus vite aujourd’hui et cela n'a pas disparu par manque d’anticipation des clubs. Des clubs « identitaires » comme Bayonne sait le faire.  Vous savez sans doute comment cela chamboule quand au Stade Jean Dauger on sent cette foi basque qui transpire des amateurs de tous âges ; la chair de poule vous prend quand le stade chante... Cela ne peut exister partout mais c’est un exemple frappant.

Faire entrer des étrangers (même venant d’un autre club de France), apporte beaucoup à mon sens. La mixité est une chance, elle brasse les cultures. Je crois ainsi qu’un anglais, un sud-africain, un néo-zélandais doit se marrer en arrivant et en voyant nos entraînements chez les jeunes comme chez les adultes dans certains clubs. Je me doute qu’ils doivent donner leur grain de sel. Clermont s'en est servi par ses entraîneurs et ses joueurs. Michelin a compris qu'ils devaient changer de dimension dans le jeu. Avec patience ils l’ont fait, c’est de la sagesse managériale. Les jeunes rentrent dans l'équipe et font le job. D'accord, ce sont des cracs. Nous n'allons pas assez vite dans nos instances représentatives quelles qu'elles soient. La fréquentation des stades et des écrans télé s’en ressent. C’est un juste retour. Nous ne voyons plus de jeu en « Flop 14 ».

Quand on voit la vitesse avec laquelle réagit la Fédé Anglaise pour son Team de la Rose avec le choix d'Eddie Jones, nous mettons plus de temps. Laporte a raison quand il dit qu'il faut que l'on forme des éducateurs mais on est sur le long terme...cependant, c'est la voie. Il faudrait juste recenser les entraîneurs qui ont des idées, La Rochelle, Bordeaux, (il n'a pas viré Novès), Galthié revient dans le circuit… A tous, ils pourraient réfléchir pour établir un plan quinquennal de la restructuration du jeu France avec notre identité, c'est à dire notre Histoire (nos handballeurs ne sont pas si mal au plan mondial, les avoir pour consultants serait à creuser) au lieu de déblatérer sur le dopage. Il y a des règles et une surveillance dans ce domaine, aux joueurs et aux dirigeants de faire leur job.

En plus pour Grenoble, il a dû se passer des choses que l'on ne nous pas dites dans les vestiaires mais d'abord dans les bureaux. Le départ d'un cadre clé dans toutes les entreprises engendre des mouvements des personnels. L’annonce de départ des joueurs en est la conséquence. Les joueurs qui partent ont certainement des raisons et des choses à dire, car mine de rien, c'est compliqué et risqué de changer de club (ou d’entreprise). L’appât du gain n’est pas toujours le moteur, la gestion de carrière n’est pas un vain mot. Il faut un sacré pouvoir d'intégration et de la compétence pour cela. Les joueurs sont aujourd'hui des sportifs de haut niveau, nous étions des amateurs éclairés pour le moins. Etre performant aujourd'hui c'est autrement compliqué entre sa courte vie sportive, les accidents, la concurrence et assurer son avenir. Quand je vois la formation des jeunes (tout sport confondu) et que je me rends compte du peu d'exigence sur les résultats scolaires de la part des directeurs d'école, je râle. Je m'insurge contre cela. Les Anglo-saxons ne font pas pareil. On sait rapidement quand on les rencontre peu ou prou, comment est leur esprit club. Cela vient de l'éducation...

Ce que je vois au Pays des All Blacks, en Australie d’où je viens, ce sont des jeunes qui jouent. Mais ils jouent depuis tout petit…par poids. Vitesse et vision amènent dextérité et évitement. Leurs éducateurs ont un vécu et une formation plus élevée que la nôtre. Notre niveau d’exigence en rugby est nettement inférieur. Nous n’avons pas passé le cap du professionnalisme encore. Notre système éducatif au jeu est insuffisant.

A dire vrai, je regrette que l’on vienne trop tôt au rugby ou que dans le rugby.  Le système FFR ne privilégie pas les sports éducatifs que sont aussi le basket ou le handball... Ces deux sports affûtent le sens de la passe, la vitesse et la vision instantanée en plus de l’adresse et de la puissance en motricité au sol comme dans l’espace. Ils sont aussi durs que le rugby, les accrochages sont incessants (autorisés aussi) et les espaces réduits pour passer un ballon à son partenaire. De quoi éduquer les joueurs de rugby en renforçant la maîtrise des mains pour la passe. Attaque-défense sont des mouvements rapides sur ces deux sports, la transformation du jeu est rapide…
Je vais en choquer certains en disant que pour développer le sens de la stratégie les joueurs devraient tous jouer au golf…Le swing une fois appris ouvre la voie du jeu, de la stratégie et de la tactique. Surtout apprend et développe chez chaque joueur la notion essentielle de jouer « ici et maintenant » Si les joueurs d’une équipe comprennent cela individuellement, ils vont trouver les liens communs pour traduire cette attitude en équipe. Une fois compris la rigueur mise en jeu dans les phases statiques du golf, plus facile de décrypter sa position sur un terrain, lire la tactique adverse et trouver ses partenaires.  Je l’ai appris trop tard, j’aurais mieux joué au rugby. Pas de regret la philosophie apprise de ce sport m’aura servie à devenir ce que je suis…

On n’a pas fini de palabrer mais cela conserve liens et échanges. Il suffirait de peu pour nous redonner le goût d’aller au Stade et de rester impatient du weekend pour suivre le championnat de rugby…Je suis intimement persuadé que dans un jour pas si lointain, Simon et Laporte viendront pour un prochain Quinconce…

Nous vivons une époque formidable !


Michel Prieu

Pour comprendre le golf voir: legolfaucoeur.blogspot.com 

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