Bonjour,
Dans
son excellent blog « coteouvert.blogspot.com », Richard Escot
s’inquiète de voir comment le club de rugby de Grenoble se délite. Les joueurs
annoncés sur le départ en milieu de saison condamnent de fait le club à la
descente…Cela paraît inéluctable.
C’est
devenu compliqué le rugby professionnel. Parfois les objectifs du projet n’ont
pas un bon équilibre entre le projet de jeu et le projet financier. Les équipes
qui semblent avoir un projet viable, de niveau philosophique supérieur créent
une dynamique gagnante. Elles représentent souvent un esprit régional, une
différence. Je ne crois pas que ce soit différent avec l’arrivée du
professionnalisme. A condition de ne pas se perdre dans les méandres du
marketing stérile. D’hier à aujourd’hui, nous avons vu Lourdes, Béziers, Stade
Toulousain, Stade Français, Toulon…Ces projets et leur philosophie sont
incarnées par des hommes. Jadis des bénévoles éclairés, aujourd’hui des chefs
d’entreprises. Nous n’aimons pas toujours, car on a l’impression que le rugby y
perd son âme…
L’entreprise
qui joue en Top 14, mais c’est aussi vrai pour la Pro D2, doit gagner de
l’argent, comme toutes les entreprises. Nous l’oublions trop souvent. La DNCG
est partout. Le Club (je préfère ce concept à celui de l’entreprise) doit donc
faire envie à des partenaires et mécènes et…aux spectateurs. Chaque club a
besoin d’organisation efficace et plaire à son public, compromis pas simple
mais évident à mener, le public pour venir doit s’identifier à son équipe
représentative. Des hommes arrivent à conduire cette politique en ce moment,
Clermont en premier qui a fait évoluer son jeu depuis quelques années après
avoir perdu bien des finales. Quand c’est arrivé, ils n’avaient pas les clés
pour les gagner ; pas le mental à l’unisson, la peur et l’anxiété, la
projection à demain…, avaient détruit la maîtrise. Ils n’avaient pas encore
appris à être dans le « temps présent ». Je crois que Vern Cotter,
même s’il est vénal, a apporté quelque chose de neuf à Michelin : le
pragmatisme et une autre idée du jeu, du volume de jeu. Coach pas facile le Néo-Zélandais,
mais jouer et apprendre au pays des All Blacks en impose. Il a martyrisé
quelques joueurs, Para en sait quelque chose. Les dirigeants de Clermont ont
compris et Azéma, (certainement un chercheur passionné) a composé sa maîtrise
des hommes à son contact et avec ce qu’il avait appris de Jacques Brunel. Souhaitons-lui
de continuer et de donner exemple à tout le « Flop 14 ». Ses
dirigeants lui font confiance et veillent au bon équilibre
jeu-efficacité-organisation de l’entreprise sportive.
Nous
voyons des changements aussi comme ceux portés par La Rochelle ou Bègles-Bordeaux.
Là, il semble que ce sont des hommes de terrain, des techniciens qui font
évoluer, Ibanez, Collazo… qui ont tous les deux goûté au rugby anglais. Ce
n’est pas neutre à mon sens : ils ont vu autre chose et comment se déroule
le jeu britannique. Je suis toujours surpris de voir des matches entre les
« nations » du Royaume-Uni. On voit du jeu, dans chaque équipe, il y
a une ligne directrice, une intensité, plus de temps de jeu. Les provinces irlandaises
sont des exemples flagrants en Coupe d’Europe. Dans le Tournoi des VI Nations c’est
un peu différent. Je ne retrouve pas cette dynamique en France. Toulouse, Paris
l’avaient et l’on perdu. Toulon est en train de le perdre, Grenoble est en
perdition. Des hommes clés en sont partis et ont créé un déséquilibre…Pour que
les joueurs aient confiance et puissent développer leurs moyens ils doivent
être pris dans un projet et le partager avec leur entourage.
On
découvre ainsi que l’argent n’est pas tout. Mais d’un autre côté la vérité d’un
projet change rapidement. L’exemple de Altrad-Galtié à Montpellier le rappelle
ouvertement en ce moment. Que s’est -il passé réellement ? Comment un
patron peut-il oublier l’influence d’un cadre qu’il a choisi et qui a
transformé le club en profondeur ? Comment, par quelles nuances de
management un entraîneur peut-il perdre la main mise sur son effectif ?
Pourquoi le message d’hier ne passe plus aujourd’hui ? Toute l’alchimie du
changement est là. Les egos et les intérêts individuels viennent sans arrêt
perturber un groupe.
Je
crois malgré tout que même professionnels, les joueurs aiment jouer. Vous savez
bien combien cela vous faisait mal de ne pas être pris dans l’équipe du
dimanche quand vous jouiez ! Même à 23 sur la feuille de match, certains
joueurs doivent se raisonner chaque matin et ravaler leur frustration. Les
journalistes ont inventé « l’impact-player », pas sûr que les joueurs
comprennent, ils préfèrent être titulaires… Alors le vestiaire doit bruisser de
mille chuchotements. Nous on travaillait à l’usine, ou au bureau (l’occasion de
refaire le match), dans leur « métier » d’aujourd’hui, ils ont le
temps de ruminer seuls et même accompagnés dans leur cocon familial. Je ne
crois pas que cette partie affective ait disparue. Je crois qu’elle existe dans
le milieu professionnel de toutes les entreprises de la terre.
Cela
me ramène à Grenoble, car ce qui arrive était prévisible depuis quelques mois. La
cuvette de Grenoble n’est pas neuve dans le rugby, elle a une histoire qui
avait sombré dans l’anonymat. Les De Gregorio n’avaient pas eu d’héritiers. Grenoble
s’est relancée il y a quelques années sous l’impulsion d’une équipe soudée de
dirigeants dont Fabrice Landreau. La
nouvelle startup s’est lancée avec enthousiasme et cela a fonctionné. Mais dans
le rugby professionnel les forces en jeu sont considérables. C'était moins
lourd quoique chacun dise avec l'amateurisme marron. Cela se passait sous le
manteau. Je suis Tarbais de naissance et de vie, puis Toulousain par mes études
et mon job. Des dimensions et des philosophies bien différentes, des moyens
aussi pour chaque ville dans sa région. Je suis heureux de voir que Brive est
un rassembleur régional, ce que n'a pas su faire la Bigorre qui a disparu des radars.
J'enrage de cela.
La
Rochelle, Clermont ont des idées directrices, presque une méthode, d’autres par
exemple le Stade Français en avait et semble les perdre... Le Stade toulousain
cherche de nouvelles marques pour redevenir ce qu’il était… Compliqué de faire
un esprit d'entreprise, car tout dépend de l'esprit du patron et des choix
qu'il fait de ses collaborateurs, de la puissance de son message. La startup a
succès pour grandir doit s'organiser et c'est là que commencent les difficultés.
Entrer du personnel demande plusieurs réflexions dont former ou acheter. Du
court-court terme et du long terme, la vision du projet est nécessaire.
Pas
facile à mener un projet. Voyez nos entreprises les plus performantes pour
changer de cap aujourd'hui elles ont rouvert les centres de formation fermés il
y 30 ans à cause de l'incurie des autres parties chargées de l'enseignement
général et technologique. Les meilleurs potentiels jeunes partent parce que
l'on ne leur fait pas confiance… En rugby le recrutement est primordial et
traditionnel pour constituer les équipes. Les centres de formation sortent
toujours des jeunes mais il ne leur est pas fait confiance (cela concerne l’esprit
français en général).
Notre
Histoire nous dit que l’esprit du rugby des grandes équipes venaient de leur
région. En son temps, Raoul Barrière allait vers Sète et plus loin vers Alès,
si le turbulent Lubrano faisait le con, Raoul le savait. Lourdes savait aller
chercher Crauste …Il y avait un liant donné par la formation régionale et le
moule fonctionnait. Tout doit aller plus vite aujourd’hui et cela n'a pas
disparu par manque d’anticipation des clubs. Des clubs « identitaires »
comme Bayonne sait le faire. Vous savez
sans doute comment cela chamboule quand au Stade Jean Dauger on sent cette foi basque
qui transpire des amateurs de tous âges ; la chair de poule vous prend quand
le stade chante... Cela ne peut exister partout mais c’est un exemple frappant.
Faire
entrer des étrangers (même venant d’un autre club de France), apporte beaucoup
à mon sens. La mixité est une chance, elle brasse les cultures. Je crois ainsi
qu’un anglais, un sud-africain, un néo-zélandais doit se marrer en arrivant et
en voyant nos entraînements chez les jeunes comme chez les adultes dans
certains clubs. Je me doute qu’ils doivent donner leur grain de sel. Clermont
s'en est servi par ses entraîneurs et ses joueurs. Michelin a compris qu'ils
devaient changer de dimension dans le jeu. Avec patience ils l’ont fait, c’est
de la sagesse managériale. Les jeunes rentrent dans l'équipe et font le job.
D'accord, ce sont des cracs. Nous n'allons pas assez vite dans nos instances
représentatives quelles qu'elles soient. La fréquentation des stades et des écrans
télé s’en ressent. C’est un juste retour. Nous ne voyons plus de jeu en « Flop
14 ».
Quand
on voit la vitesse avec laquelle réagit la Fédé Anglaise pour son Team de la Rose
avec le choix d'Eddie Jones, nous mettons plus de temps. Laporte a raison quand
il dit qu'il faut que l'on forme des éducateurs mais on est sur le long terme...cependant,
c'est la voie. Il faudrait juste recenser les entraîneurs qui ont des idées, La
Rochelle, Bordeaux, (il n'a pas viré Novès), Galthié revient dans le circuit… A
tous, ils pourraient réfléchir pour établir un plan quinquennal de la restructuration
du jeu France avec notre identité, c'est à dire notre Histoire (nos
handballeurs ne sont pas si mal au plan mondial, les avoir pour consultants
serait à creuser) au lieu de déblatérer sur le dopage. Il y a des règles et une
surveillance dans ce domaine, aux joueurs et aux dirigeants de faire leur job.
En
plus pour Grenoble, il a dû se passer des choses que l'on ne nous pas dites
dans les vestiaires mais d'abord dans les bureaux. Le départ d'un cadre clé
dans toutes les entreprises engendre des mouvements des personnels. L’annonce
de départ des joueurs en est la conséquence. Les joueurs qui partent ont
certainement des raisons et des choses à dire, car mine de rien, c'est
compliqué et risqué de changer de club (ou d’entreprise). L’appât du gain n’est
pas toujours le moteur, la gestion de carrière n’est pas un vain mot. Il faut
un sacré pouvoir d'intégration et de la compétence pour cela. Les joueurs sont
aujourd'hui des sportifs de haut niveau, nous étions des amateurs éclairés pour
le moins. Etre performant aujourd'hui c'est autrement compliqué entre sa courte
vie sportive, les accidents, la concurrence et assurer son avenir. Quand je
vois la formation des jeunes (tout sport confondu) et que je me rends compte du
peu d'exigence sur les résultats scolaires de la part des directeurs d'école,
je râle. Je m'insurge contre cela. Les Anglo-saxons ne font pas pareil. On sait
rapidement quand on les rencontre peu ou prou, comment est leur esprit club.
Cela vient de l'éducation...
Ce
que je vois au Pays des All Blacks, en Australie d’où je viens, ce sont des
jeunes qui jouent. Mais ils jouent depuis tout petit…par poids. Vitesse et
vision amènent dextérité et évitement. Leurs éducateurs ont un vécu et une
formation plus élevée que la nôtre. Notre niveau d’exigence en rugby est
nettement inférieur. Nous n’avons pas passé le cap du professionnalisme encore.
Notre système éducatif au jeu est insuffisant.
A
dire vrai, je regrette que l’on vienne trop tôt au rugby ou que dans le rugby. Le système FFR ne privilégie pas les sports
éducatifs que sont aussi le basket ou le handball... Ces deux sports affûtent
le sens de la passe, la vitesse et la vision instantanée en plus de l’adresse
et de la puissance en motricité au sol comme dans l’espace. Ils sont aussi durs
que le rugby, les accrochages sont incessants (autorisés aussi) et les espaces
réduits pour passer un ballon à son partenaire. De quoi éduquer les joueurs de
rugby en renforçant la maîtrise des mains pour la passe. Attaque-défense sont
des mouvements rapides sur ces deux sports, la transformation du jeu est
rapide…
Je
vais en choquer certains en disant que pour développer le sens de la stratégie
les joueurs devraient tous jouer au golf…Le swing une fois appris ouvre la voie
du jeu, de la stratégie et de la tactique. Surtout apprend et développe chez
chaque joueur la notion essentielle de jouer « ici et maintenant » Si
les joueurs d’une équipe comprennent cela individuellement, ils vont trouver
les liens communs pour traduire cette attitude en équipe. Une fois compris la
rigueur mise en jeu dans les phases statiques du golf, plus facile de décrypter
sa position sur un terrain, lire la tactique adverse et trouver ses
partenaires. Je l’ai appris trop tard, j’aurais
mieux joué au rugby. Pas de regret la philosophie apprise de ce sport m’aura
servie à devenir ce que je suis…
On
n’a pas fini de palabrer mais cela conserve liens et échanges. Il suffirait de
peu pour nous redonner le goût d’aller au Stade et de rester impatient du
weekend pour suivre le championnat de rugby…Je suis intimement persuadé que dans
un jour pas si lointain, Simon et Laporte viendront pour un prochain Quinconce…
Nous
vivons une époque formidable !
Michel Prieu
Pour comprendre le golf voir: legolfaucoeur.blogspot.com
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