J’ai
mal dormi et je sais pourquoi. Après une matinée délicieuse sur le Golf de
Miraflorès avec mes amis, bon déjeuner sous le soleil printanier en place pour
un morceau de choix. Le tournoi des VI Nations est un moment privilégié. Dans
mes jeunes années à l’internat de Toulouse il faisait partie d’un rituel
concocté avec d’autres jeunes et beaux sportifs que j’ai « initiés »
aux joutes ce jeu fabuleux. Il mêle le sport et la vie. Le monde d’Ovalie est
aussi une philosophie.
Le
programme de la journée du samedi de Tournoi des V Nations de 1965 ? Les
cours terminés, déjeuner, digestif (la gnôle de Cognac de ma grand-mère) et
premières données de tarot. A l’heure du match les hymnes, debout au garde à
vous, j’aime toujours les écouter. Frissons partagés. La voix de Couderc puis
d’Albaladéjo, qui a donné ses lettres de noblesse au métier de consultant du
sport télévisé. Puis tarot jusque tard dans la nuit, parfois pour oublier les
erreurs volontaires des arbitres, le match terminé. Le lendemain on jouait à
notre tour chacun sur son terrain.
Avec
ses souvenirs et les matches d’hier ont eu chacun une saveur particulière.
Depuis que j’ai connu Alex Farell près de Saint-Andrews et l’espoir qu’il avait
que les Ecossais battent les Français pour le match du Championnat de monde,
j’observe Vern Cotter. Déjà j’appréciais la trace qui a transformé la mentalité
et la manière de jouer des clermont-ferrandais. Il leur a donné les moyens de
gagner leur premier trophée. Le rôle de Joe Schmidt n’y était pas pour rien, qui
lui coache les Irlandais. Deux gars particuliers comme peuvent l’être les
Néo-Zélandais : un pragmatisme anglais mais un sens inné de la
flexibilité. Toute leur société m’en paraît imprimée. Le jeu des Blacks en est
la meilleure vitrine. Peu à peu, ils font faire des progrès aux équipes qu’ils
ont à diriger.
Après
le match d’hier contre ces Irlandais mille fois décryptés et analysés on s’est
loupé. Avec leurs sélections régionales, leur effectif de licenciés faméliques,
on devrait les bouffer. C’est loin de la réalité. Ce qui est embêtant c’est que
l’écart ne fait qu’augmenter. Le mal est profond, question d’éducation.
Je
ne dis pas formation. La formation, je connais, c’est mon métier. Oui, sans
plaisanter je suis forgeron dans l’âme. J’en ai fait profession et je peux vous
dire qu’une pièce forgée montée sur un avion n’est ni prête à se déformer ni à
se casser (votre sécurité…). Pendant toute la vie de l’avion on doit en garder la
trace de sa confection. Pour faire aimer un sport aux enfants et aux plus
grands vous comprendrez que je sois suspect. Très tôt les parents et l’école
devraient « apprendre à apprendre » aux enfants mais pas les former,
car ensuite surtout quand le niveau est élevé, on a du mal à s’adapter. C’est
sans doute pour cela que les chefs veulent toujours privilégier leurs idées,
quand ce n’est pas purement et simplement les imposer.
Le
système d’éducation français de notre société au fil du temps s’est sclérosé.
Depuis plus de 50 ans au sommet de l’Etat, notre politique n’a aucun sens.
Depuis De Gaulle nous n’avons aucun sens de la direction dans laquelle nous
nous dirigeons. Il est évident que cela ne peut que transparaître dans le
rugby.
Tout
n’est pas à jeter mais nous ne savons plus ce qu’est un professionnel et ce qui
est grave dans tous les métiers c’est pareil. Chez les sportifs, quand certains
font bien leur métier, Zidane, Parker, Deschamps, Karabatic, Fourcade, Douillet…
que peut-on remarquer ? Pour s’aguerrir ils vont à l’étranger, affronter
les autres chez eux et suivant le marché ils gagnent de l’argent. J’en suis le
premier enchanté pour eux et merde pour ceux qui pensent autrement. C’est vrai,
bon nombre de français stigmatisent cela, mais ils ont eu le courage de faire
au lieu de parler.
Pour
un Zidane et le boulot qu’il fait à Madrid, qui en France le lui aurait
confié ? Parker ? C’est pareil. Leur talent, c’est d’être compétent
et de beaucoup travailler pour le rester. J’observe, je ne suis pas frustré ;
au contraire, c’est l’image que j’ai des Français qui ont compris ce que le
monde proposait. Ils se sont impliqués et ils ont gagné. Chapeau, c’est mérité
aux autres de les imiter. Contrairement à ce que l’on croit ils n’ont marché
sur personne, ils avaient un projet, une étoile qui les dirigeait. Tout ce qui
leur arrive c’est de leur responsabilité. On ne peut gagner l’argent sans rien
faire. Tous ceux qui disent le contraire nous mentent, à nous de nous révolter
contre cette idée. A notre tour c’est notre responsabilité, en vérité notre
dignité.
Rien
de tout cela chez les joueurs de rugby. Leur éducation est en papier, rien de
solide c’est une vérité. Pas étonnant, la République des copains à la
Fédération comme à la ligue d’ailleurs est toujours en vigueur depuis que le
rugby existe. Le professionnalisme est dans les paroles et les dossiers pas
dans les esprits et surtout pas dans les faits.
On
s’étonne de la santé de Louis Picamoles, il est parti jouer en Angleterre son
nouveau projet (Je crois qu’il a compris que les saxons jouaient autrement et
voulait comprendre). En 6 mois, il a minci quand d’autres avant lui s’étaient
épaissi. Il court plus vite et reste puissant. La nourriture aurait-elle
changée ? La physionomie des joueurs de rugby va-t-elle changer ? Les
compléments alimentaires seraient moins chargés ?
Sous
l’ère Laporte, a-t-on une chance de voir cela changer ? Nous avons des
exemples de fédérations qui ont moins de moyens et plus de passion un autre
mode de relation entre amateurs et professionnels. Je m’insurge que depuis
longtemps le monde des artisans et des industriels disent qu’ils ne reçoivent
pas des lycées et collèges des jeunes gens compétents. Quel effort font-ils
pour mieux les former et recevoir les professeurs qui en sont chargés ?
On
peut vilipender le football, mais la formation française donne quelques
résultats. Nos joueurs sont recherchés et permettent d’équilibrer les comptes
des clubs. JM Aulas sait en jouer. Le premier acte de l’américain qui vient de
racheter OM (Marseille si compliquée à appréhender) vient de s’associer les
services d’un club formateur. Marseille à la dérive a oublié l’époque des
minots et la joie de jouer avec des joueurs formés dans la région.
Bernie
a du boulot et j’espère bien que d’ici quelques temps il va dévoiler un plan
élaboré pour remettre au gout du jour une éducation au rugby digne de ce nom.
Vendre le maillot servira à rentrer de l’argent mais ce sont des idées dont on
a besoin. Et des montagnes de pédagogie et de négociations pour le réaliser. Quel
jeu veut-on pratiquer ? Quel spectacle veut-on donner ? Doit-on
répartir ou centraliser ? Est-ce en adéquation avec l’esprit
français ? Comment alors s’organiser ? Comment évaluer ? quelle
échéance se donner ?
Pendant
ce temps, il va falloir se contenter des faire avec les joueurs sélectionnés
par Novès et son staff. Ils ont donné une direction c’est un progrès.
Manifestement les joueurs ne sont pas encore adaptés, le pourront-ils quand ils
vont grandir ? La vie du club a ses impératifs, ils doivent composer,
c’est leur responsabilité. Ils ont une carrière à mener. Ce que je constate
c’est que les joueurs barrés en France comme les footeux ne partent pas à
l’étranger. C’est un signe, ils ont peur. Je crois qu’ils savent ne pas être à
la hauteur. Notre championnat contrairement à ce que nous rabâche la publicité
n’est pas le meilleur du monde. On n’y joue pas pour gagner mais pour ne pas
perdre à deux équipes près Clermont et La Rochelle en ce moment.
Les
schémas de jeu ne sont pas faits pour la vitesse et l’évitement mais pour le
physique et le rentre dedans. A chaque mêlée on perd du temps. Les erreurs
techniques hachent le jeu. L’adaptabilité, l’intelligence de jeu ont disparu
avec les espaces laissés par les défenses qui ont progressé. On reproduit cela
à l’international et l’on est pénalisé. Facile de le vérifier en comparant des
matches de Championnat d’Europe et des VI Nations sans parler de ce que l’on
voit dans les tests matches avec les Nations du Sud.
Hier,
les statistiques du match semblent montrer que seule la première ligne a été à
la hauteur. Depuis des semaines nous savons que nous aurons des ballons
mouillés qui vont nous agresser. Combien d’erreurs à la réception des joueurs
qui sont chargés d’être sous les chandelles. Faut-il durant l’été aller jouer
au foot australien ou au gaélique ? Au lieu de s’entraîner à Nice aller à
Vannes ou à Calais ou la pluie attendrait ?
Tout
le match j’ai souffert de voir ses jeunes gens empruntés. Ils ne montrent aucun
plaisir. On dirait qu’ils sont privés dès qu’ils sont sous le maillot bleu de
responsabilité. Ils donnent l’air de réciter une leçon qu’ils ont mal apprise.
Sans idée, mais si l’on croit Novès ils sont invités à oser. Oser sans plan et
privés de ballons, ne pas savoir s’adapter au jeu proposé, c’est montrer des
limites rédhibitoires pour pouvoir postuler au match d’après. Le projet est à 4
ans mais en un an on devrait voir quelques progrès, Novès constate lui-même que
l’équipe stagne.
Hier
en tout cas elle n’a rien montré. Elle a défendu, s’est accrochée ce qui a
permis à l’Irlande de gérer mais en cela je me sens humilié. C’est dans
l’esprit saxon un pragmatisme qui a l’art d’user. L’esprit de ces iliens nous
est supérieur, ils combattent pied à pied chaque pousse de terrain. J’aime le terme
de défense offensive, on a paré au plus pressé au mauvais sens du terme, le
tarif syndical. Pas envie simplement de retourner la situation. Impuissants à
dominer ce qui nous était proposé par les Irlandais.
Le
rugby est un jeu de possession, pas moyen de gagner un match si l’on n’a pas le
ballon. Que fait-on pour l’avoir et pouvoir le garder. Le jeu moderne semble
orienté sur les rucks, soit la mode est lancée. Les joueurs ont plaqué mais qui
a récupéré des ballons aux mains des Irlandais. L’intention n’apparaissait même
pas ! Et le plus terrible c’est de sentir qu’il n’y a pas d’idée pour les
quelques turnovers qui sont arrivés. On vendange encore une fois des passes sur
jeu lancé ; un en avant sur le seul essai que l’on pouvait marquer.
Combien depuis l’été en avons-nous ainsi raté ? Y-a-t-il une colle qui
pourrait aider ? Les handballeurs en ont une, je crois…
On
a logiquement perdu contre plus fort que nous. 10 points pas cher payé, je
crois qu’on avait peur de prendre une raclée. Mais demain, quelle attitude
adopter ? Nous attendons avec peur le classement des Nations. Les Ecossais
au rythme où ils vont et les progrès qu’ils font vont nous éjecter du panel
espéré. A voir la façon dont on s’y prend, pas encore que l’on sera champion.
Ce n’est pas en psalmodiant qu’on va gagner que nous le ferons. Je jeu demande
de jouer, dans l’esprit et dans l’instant présent. C’est un jeu d’équipe, même
l’adversaire fait partie de l’équipe. Spectateurs, nous attendons des actes or
depuis pas mal de temps nous échouons. Question de système. On vit bien sans
penser à demain. Je sais bien que l’on joue une autre partie de la fin du Saint
Empire Romain.
On
ne va quand même pas jeter le manche après la cognée. Ce n’est pas une question
de nombre de licenciés. Les statistiques c’est bien mais ce n’est pas la
panacée. La politique va devoir jouer, le long terme et colmater. Que fait-on
de la qualité de la chose enseignée ? Comment choisit-on ceux qui en sont
chargés ? Des joueurs chevronnés en ont-ils la volonté, ou plus sérieusement
le plaisir de transmettre ? En faire un nouveau métier ? Educateurs intégré
au collège ou au lycée comme les anglais ? Comment alors les qualifier et
les rémunérer ? Les Irlandais nous donnent quelques idées ? Les
Néo-Zélandais vont encore plus loin, ils parlent de culture. Savons-nous encore
quelle est la nôtre et celle que nous voudrions pour parler d’avenir ?
Des
écoles déjà quelque part en région ont montré des capacités à former des jeunes
doués : les évaluer en déduire un projet. Pourrait-il être
développé ? Faut-il un enseignement programmé, plus d’initiative et de
liberté ? Comment préparer au métier, à la conversion ? Pour éviter
la saturation quels enseignements de diversion ? Les jeunes prometteurs
comment les responsabiliser puis les orienter ? Comment au bout les
intégrer dans les clubs ? Comment dans une région ouvrir les clubs en
fonction des niveaux ? Comment proposer un championnat qui élève la
technique individuelle et le niveau de jeu ? Comment trouver l’argent pour
relier tout cela ? Créer une coopération entre clubs, ligue et fédération
pour permettre aux joueurs de jouer sans cirer un banc de remplaçants ?
Avons-nous conscience en passant que ce sont les jeunes qui portent l’avenir de
ce pays où il devenu plus important de perdre avec honneur que de gagner en
montrant sa valeur ?
De
ces quelques questions si peu exhaustives pourrait-il sortir un embryon de
solutions ? Nous sommes au fond que risque -t-on de rêver au lieu de
parler et de s’enliser ?
J’entends
déjà des boucliers se lever…
Michel Prieu
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